En l’espace de quelques années, l’écologie et plus largement l’éco-responsabilité se sont imposées comme un impératif pour les Français. Les attitudes, mais aussi les comportements ont réellement changé, avec un effet accélérateur de la crise du Covid-19.
Dans ce contexte, comment nos concitoyens perçoivent-ils les marques, selon quelle typologie ? Ont-elles un rôle important à jouer de leur point de vue ? Et si oui quelles sont donc leurs attentes ? C’est le thème d’une étude menée par Marie-Christine Renault et Sonia Langlet (MCD Consulting), qui nous en présentent ici les principaux résultats.
MRNews : Vous avez réalisé il y a quelques semaines une investigation assez complète sur les Français et l’écologie. Pourquoi cette initiative ?
Marie-Christine Renault (MCD Consulting) : Etudes après études, nous étions frappées par l’importance des changements qui s’opéraient dans les attitudes et les comportements de nos concitoyens sur ces sujets. Dans les communautés que nous animons, il était patent que les gens s’exprimaient de plus en plus spontanément, notamment pour partager leurs pratiques et leurs attentes.
Sonia Langlet (MCD Consulting) : Le discours des consommateurs vis-à-vis des marques nous semblait devoir être éclairci. Parce qu’il mettait en évidence des attentes et des zones d’alertes, avec le risque en particulier que s’exacerbe un phénomène de défiance. Mais nous avions aussi l’intuition que les marques avaient de vraies opportunités, qu’elles avaient tendance à sous-estimer.
Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour cette étude ?
MCR : Nous avons privilégié une approche hybride, comme nous le faisons régulièrement. Celle-ci reposait sur une communauté online réunissant 50 personnes, réparties sur toute la France, et se partageant à égalité entre des engagés et des individus plus récemment convaincus. Nous avons demandé à ces participants de réaliser des « self-videos », notamment pour faire un zoom sur les marques. Et enfin, nous avons aussi mené une quinzaine d’entretiens à domicile, de 2 heures en moyenne. Cela nous a donc permis de disposer d’une belle richesse de matériaux.
Ne subsiste-t-il pas un grand écart entre attitudes et comportements ? Quel est l’impact de la crise du Covid-19 ?
SL : Il y a de vrais signes d’une accélération dans les changements de comportements. Ceux-ci sont de plus en plus installés, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. On le voit notamment avec le tri systématique des déchets, qui est désormais pratiqué par plus des deux tiers de nos concitoyens, 68% précisément (source L’ObSoCo/Citeo). Mais les contradictions subsistent, et ont même tendance à s’amplifier. Les gens ont la volonté d’adopter des gestes vertueux, mais sont freinés lorsque se pose la question du comment faire.
MCR : Au global, la crise a eu un net effet accélérateur, en particulier sur la prime au local, et/ou au « fait maison », qui vont souvent de pair. Les changements ont été spectaculaires avec le confinement, et beaucoup de pratiques se sont ancrées. Il y a plus largement un autre regard sur les enjeux d’éthique, les conditions de travail ou de rémunération des salariés. Et aussi sur la cause animale. C’est la vision de la planète et de son avenir qui ont été durablement modifiés.
SL : Les comportements de frugalité se sont également développés. Nous avons été surprises par le nombre de femmes notamment qui ont pris la décision de ne plus acheter de vêtements neufs…
Comment définiriez-vous ce qu’est un consommateur éco-responsable ?
SL : C’est une personne qui considère que l’impact sur la planète se joue dans ses actes quotidiens et individuels. Elle ne dit pas « c’est à l’état d’agir », même si l’un n’exclut pas l’autre. Mais elle se sent responsable au travers de ce qu’elle fait elle, à son niveau. Plus de la moitié des Français voient aujourd’hui les choses ainsi. L’échelle de l’éco-responsabilité est cependant très large. Cela va de petits gestes comme le tri des déchets jusqu’à des transformations radicales, comme par exemple la décision de ne plus rien acheter de neuf ou presque…
MCR : On observe des stades d’évolution de l’engagement, avec une progression de plus en plus rapide des convictions éco-responsables et, en parallèle, une fragilisation de la relation aux marques au fur et à mesure du parcours. En général, les gestes commencent dans un univers en particulier. Très souvent, il s’agit du tri, de la chasse au gaspillage dans l’alimentation ou du transport. Puis, peu à peu, une fois que c’est acquis, ces comportements se diffusent beaucoup plus vite dans d’autres sphères comme l’hygiène ou la cosmétique. C’est le stade 2. Le stade 3 intervient lorsque le comportement est devenu global, généralisé : le consommateur a mis en place une éthique forte de consommation où le lien à la marque s’est déjà fortement distendu. Il est donc primordial que les marques agissent au fur et à mesure pour ne pas perdre le lien !
Quels sont les freins ? Vous avez évoqué la difficulté à identifier le « comment faire », quels sont les autres ?
MCR : Il n’est pas si simple de s’y retrouver dans les différentes informations, sur les composants, les matériaux utilisés, et ce que cela implique pour la planète. Cela demande de passer du temps, notamment sur internet, pour se renseigner. Et cela peut décourager certains… L’équilibre entre plaisir et contrainte constitue également un aspect important. Tout cuisiner soi-même en gérant famille et activité professionnelle, c’est mission impossible pour la plupart d’entre nous !
SL : Le prix — et donc la composante Pouvoir d’Achat — rentre en ligne de compte. Mais il faut cependant nuancer la vision… Beaucoup d’alternatives se sont développées depuis la crise pour permettre aux familles les plus modestes d’accéder à des produits plus éco-responsables mais la route est encore longue….
Les Français jugent-ils que les marques les aident à se comporter de manière responsable ?
SL : Les perceptions varient fortement, en fonction des marques bien sûr, mais aussi des individus eux-mêmes. Les plus engagés en termes d’éco-responsabilité sont les plus critiques ; ils essaient même de se passer d’elles autant que faire se peut. Mais au global, les Français ont une attitude plus nuancée qu’on ne pourrait le penser vis-à-vis des marques. Ils sont conscients de la difficulté qu’ils éprouvent eux-mêmes à adopter les bons gestes, et trouvent logique qu’il en soit de même pour les marques. Mais ils sont impitoyables lorsque celles-ci sont dans l’inertie. Ou pire, la dissimulation !
MCR : Notre étude nous a permis de dresser une typologie, avec 4 grands types de marques.
Les marques vertueuses ont en commun l’authenticité de leur engagement, mais leur profil est néanmoins assez varié. Des Léa Nature, Bjorg ou L’Occitane sont considérées comme des pionnières. On voit par ailleurs des marques « militantes », connues pour leur cause ou leur engagement (avec l’usage de matériaux recyclés, le service de la cause animale,…), depuis longtemps (Patagonia) ou plus récemment (Pulpe de Vie, Respire,…). Elles font partie de celles qui aident les consommateurs à adapter des comportements éco-responsables. AromaZone se singularise fortement dans ce rôle. Et, pour compléter le tableau des marques vertueuses, nous avons aussi des TPE familiales ou locales, souvent présentes sur le terrain du bio. Et bien sûr celles qui, simplement, proposent des produits naturels, à l’exemple des Veja ou de l’Arbre Vert
Parmi les marques classées comme étant « en progrès », on voit d’anciens « mauvais élèves ». Est-ce un signe de cette relative indulgence des Français que vous évoquiez précédemment ?
SL : Tout à fait ! Des marques parviennent en effet à améliorer leur image lorsqu’elles prennent des initiatives. Même quand celles-ci sont considérées comme des « petits pas », c’est le cas pour des marques comme Levi’s par exemple qui incite à laver à froid. Et à fortiori si ces changements sont notables, jugés comme tels en tout cas. Cela s’applique par exemple à des McDonalds ou des Engie dont les efforts sont reconnus par certains et témoignent d’une volonté d’agir
MCR : C’est un message qui nous semble vraiment important. Rien n’est perdu, y compris pour des marques qui ont été critiquées au vu de leurs actions passées sur ce terrain. Pour témoigner de leur volonté, elles doivent montrer qu’elles ne sont pas inertes, qu’elles anticipent les évolutions réglementaires, et qu’elles se transforment en cohérence avec l’impératif écologique. De multiples opportunités existent à chaque stade du parcours d’engagement des consommateurs pour changer la donne, conserver le lien avec les consommateurs et rester présentes dans leur quotidien. Pour les marques, il y a urgence à agir et à accompagner cette transformation.
POUR ACTION
• Echanger avec les interviewées : @ Marie-Christine Renault et @ Sonia Langlet