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« Les entreprises ont besoin de mieux connecter les enjeux de Customer Expérience et de business » – Interview de Stéphane de Turckheim et Stéphane Marder (Sky Consulting)

30 Nov. 2022

Stéphane Marder et Stéphane de Turckheim - Sky Consulting

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La Customer Experience — le CX comme disent les initiés — est à l’évidence devenue un sujet incontournable pour les décideurs dans les entreprises, en tout cas dans la grande majorité d’entre elles. Et s’il fallait pourtant dépasser cette notion, avec un angle plus large que celui généralement utilisé et une plus forte connexion avec les enjeux business ? C’est la double conviction de Stéphane Marder et Stéphane de Turckheim (Sky Consulting), qui répondent aux questions de Market Research News pour nous présenter leur nouvelle approche, CCX RING.

MRNews : La Customer Expérience fait désormais partie des préoccupations clés des entreprises. Pourquoi avoir défini une nouvelle approche sur ce sujet ? 

Stéphane de Turckheim (Sky Consulting) : Notre réflexion s’est construite autour de trois constats. D’une part le CX nous semble encore trop souvent appréhendé sous les seuls angles de l’achat et du parcours client. Notre vision est qu’il faut le faire de façon plus globale, plus holistique, d’autant qu’il est aujourd’hui ce qui pèse le plus dans la valorisation des marques. Il est également le premier critère sur lequel se fonde le choix des consommateurs, c’est donc un enjeu majeur de business ! Mais ce prisme de l’expérience est tout aussi important pour ce qui est du lien entre les entreprises et leurs collaborateurs. C’est là que se jouent leur fidélité et plus largement leur engagement, plus encore qu’avec la question du salaire. Le dernier point est que trop de démarches autour du CX se terminent par un superbe empilement de chiffres qui ne déclenche rien en termes d’action. Ce n’est satisfaisant pour personne…

Stéphane Marder (Sky Consulting) : On le voit clairement, il y a de plus en plus de porosité entre les perceptions des collaborateurs et celles des clients. L’exemple de ce qui est arrivé à Ikea il y a quelques années est très emblématique de ce phénomène. D’où la nécessité d’avoir une approche plus globale, autour de l’expérience de marque. Et je partage tout à fait ce point, les entreprises ont besoin de mieux connecter la Customer Expérience avec leurs enjeux de business.

Le CX nous semble encore trop souvent appréhendé sous les seuls angles de l’achat et du parcours client. Notre vision est qu’il faut le faire de façon plus globale, plus holistique, d’autant qu’il est aujourd’hui ce qui pèse le plus dans la valorisation des marques. Il est également le premier critère sur lequel se fonde le choix des consommateurs, c’est donc un enjeu majeur de business !

Comment résumeriez ce qu’est l’expérience de marque ?

SDT : C’est l’ensemble des perceptions et impressions que génère une marque, tous publics confondus, clients et collaborateurs. On est sur de l’image, sur du mental, mais pas seulement. Cette expérience recouvre aussi le vécu, des éléments extrêmement concrets. Si je pense à l’égérie d’une marque, au charisme qu’elle dégage, c’est de l’expérience de marque. Mais si j’inonde ma table au petit-déjeuner parce que ma bouteille de jus d’orange est mal conçue, ou si je ne sais pas quoi faire de mes capsules de café usagées, ça en fait également partie ! Idem si j’apprends que les conversations privées des collaborateurs d’une enseigne que je fréquente font l’objet d’écoutes de la part du management… 

Votre démarche s’appelle CCX RING. Comment se structure-t-elle ?

SDT : Elle repose sur 4 principes clés. Dans un premier temps, nous avons mené une étude de fond, en partenariat avec l’Union Européenne et l’OCDE, auprès de 14 000 Français. Celle-ci avait vocation à appréhender deux grands points. D’une part ce que les gens expriment quand ils évoquent leurs expériences avec les marques, que ce soit en tant que consommateur ou collaborateur. Et d’autre part leurs attentes. L’exploration des « expressions consommateurs » a permis de mettre en évidence 4 « territoires » distincts. Les gens nous ont parlé des points de contact avec les marques, bien sûr des produits et/ou des services que proposent celles-ci. Ils ont également évoqué les différents types de personnes avec lesquelles ils ont interagi. Naturellement le staff en contact, en front-office pour la vente ou le SAV. Mais aussi les acteurs impliqués à un niveau Corporate, et notamment les dirigeants, dont les prises de parole jouent un rôle de plus en plus important. C’est évident lorsqu’on pense à Elon Musk ou Marc Zuckerberg, mais cela vaut pour désormais toutes les entreprises. Et enfin ils nous ont parlé de la marque à proprement parler, avec son histoire, son identité, et ses communications, quels que soient les canaux par lesquels ça passe.

SM : L’étude nous a confortés dans notre intuition que la marque était insuffisamment prise en compte dans les approches autour du CX…

Et côté collaborateurs ? 

SDT : Le premier point qu’ils évoquent s’agissant de leur entreprise, ce sont les managers. Est-ce qu’ils contribuent à me faire travailler dans de bonnes conditions, y compris en termes d’efficacité ? M’aident-ils à progresser ? Le second axe est celui de la marque et de sa culture. Est-ce qu’on se sent intégré dans une organisation, avec des rituels, des symboles, des valeurs communes ? On touche très directement au Why de la marque. Un troisième volet d’expressions concerne les notions de droit et d’éthique. À la fois d’un point de vue interne à l’entreprise (Suis-je bien respecté ? Mes revendications sont-elles prises en compte ?…) mais aussi externe. C’est là qu’on retrouve les enjeux de RSE notamment. Le dernier champ est la capacité de l’entreprise à protéger les gens et à se préoccuper de leur santé, qu’il s’agisse des clients ou des collaborateurs.

SM : Les parallèles entre les perceptions des consommateurs et celles des collaborateurs sont saisissants. Cela incite bien à construire une vision d’ensemble, mais cela facilite aussi cet exercice !

Les parallèles entre les perceptions des consommateurs et celles des collaborateurs sont saisissants. Cela incite bien à construire une vision d’ensemble, mais cela facilite aussi cet exercice !

À partir de cette cartographie de ce qu’expriment ces publics, vous avez formalisé une matrice d’évaluation de leurs attentes…

SDT : Exactement. Tant pour les consommateurs que les collaborateurs, cinq grandes familles d’attentes émergent clairement. Et il est bien sûr possible de mesurer la capacité des entreprises et des marques à y répondre. Et ce que ce soit en mode macro, avec des indicateurs de synthèse, ou bien de façon plus détaillée. C’est ce que nous faisons dans le cadre de cette démarche CCX Ring.

En résumé, une marque se doit d’être compréhensible dans son dessein et ses propositions, et convaincre qu’elle est à même d’apporter des solutions. Mais elle doit aussi avoir du charme, de l’humour, une personnalité unique. Il importe qu’elle fasse preuve de constance, de cohérence, ce qui va de pair avec un sens des responsabilités. Et enfin, c’est le dernier étage des attentes, elle doit inspirer confiance, donner envie de passer à l’action. À l’achat si je suis client, et à une forme d’engagement si je suis collaborateur.

CCX Ring – Sky Consulting

Si l’on croise ces attentes avec les domaines d’expression que vous avez précédemment évoquées, on obtient quarante intersections. Cela correspond aux critères d’évaluation ?

SM : Le nombre de critères est plus important, pour être le plus précis possible et apporter un éclairage opérationnel. Mais nous proposons aussi des indicateurs synthétiques. L’un pour avoir une évaluation d’ensemble de l’expérience Client, l’autre pour l’expérience Collaborateur. Plus un troisième, qui est en quelque sorte LA note globale et une forme de synthèse des deux précédentes. Les entreprises ont besoin de celle-ci. Ces trois indicateurs macros constituent ainsi des KPI pour piloter la performance. Mais ils permettent également d’élaborer un modèle mathématique, pour identifier les leviers les plus sensibles.

Le questionnaire dure classiquement une vingtaine de minutes. Un échantillon de 2000 interviews nous semble confortable pour assurer une bonne représentation du secteur d’activité étudié. Et il est possible d’intégrer des « boosts » pour avoir une mesure fiable de l’expérience des cibles prioritaires pour l’entreprise, à la fois côté clients et collaborateurs. 

À l’issue de l’étude, on se retrouve avec un bon nombre d’indicateurs… On en fait quoi ?

SM : L’idée est de ne surtout pas en rester là ! La modélisation que nous avons évoquée — avec l’identification des schémas de causalité — est précieuse pour définir les plans d’action les plus pertinents. Mais un des partis-pris importants du dispositif est de travailler l’ensemble de la base clients, au cas par cas. En mettant en regard, pour les individus interrogés, les données de l’étude et celles disponibles dans les outils de CRM de l’entreprise, nous pouvons scorer la totalité de la base. C’est que nous faisons en nous appuyant sur les compétences de notre équipe de data-scientists basée à Sofia, en Bulgarie. Bien sûr, c’est un modèle de scoring, il s’agit bien de calculs de probabilités, avec une optimisation progressive. Mais ces outils-là sont extrêmement puissants.

SDT : Nous avons conçu un schéma d’accompagnement complet. Celui-ci intègre des workshops pour bien identifier les spécificités de l’expérience de Marque versus les concurrents. Et la définition d’une stratégie, ainsi que son déploiement au sein de l’entreprise. Cette démarche est bien sûr parfaitement modulable en fonction des contextes et des besoins des organisations. 

Lire aussi > Dossier du Mois : Customer Experience vs Market Research : un match à haut risque ?

Une dernière question enfin. Quelles sont les réactions des premières entreprises avec lesquelles vous travaillez, ou bien à qui vous l’avez présentée ?

SDT : Il y a une forme de clivage. Certains interlocuteurs restent sceptiques quant à la nécessité d’une vision globale. D’autres, avec lesquels nous avons déployé cette approche, avaient à contrario l’intuition qu’il fallait s’intéresser à la fois aux clients et aux collaborateurs. Ils n’en sont que plus convaincus a posteriori, et surpris de voir que l’interdépendance est plus importante qu’ils ne l’imaginaient. Ils apprécient d’avoir une démarche qui n’est pas celle d’une mission de conseil classique avec des schémas prédéfinis. Mais qui s’appuie sur une étude, des faits, et sur une vraie vision de ce que pensent les publics concernés. L’engagement qui en résulte du côté des collaborateurs est très fort.

SM : Il y a en effet une réaction très positive des entreprises qui ont envie que la direction générale, la direction marketing, les ressources humaines et la RSE travaillent ensemble. Nos interlocuteurs nous le disent, ils attendaient qu’un outil les aide à le faire. C’est donc très encourageant pour nous.


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewé(e)s :@ Stéphane Marder @ Stéphane de Turckheim

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