Tout le monde le sait — y compris les experts du marketing — les études prospectives comptent parmi les plus « piègeuses » à réaliser. C’est pourtant à cet exercice exigeant que s’est attelée l’équipe de FreeThinking, en invitant les Français à imaginer leur vision de la transition écologique à l’horizon 2050. Les deux co-fondateurs de l’agence, Véronique Langlois et Xavier Charpentier, nous dévoilent ici la méthodologie qu’ils ont mise en œuvre, ainsi que les enseignements qu’ils tirent de ce chantier.
MRNews : Les études prospectives ont toujours eu la réputation d’être parmi les plus difficiles à mener. Vous avez pourtant relevé le pari de faire parler les Français de 2050, sur les enjeux de transition écologique. Quelle était plus précisément l’ambition de cette investigation ?
Véronique Langlois et Xavier Charpentier (FreeThinking) : C’était effectivement un défi que de mener aujourd’hui une étude de prospective de ce type, sur un sujet comme la vision de la transition écologique à horizon 2050 des Français. D’autant qu’il s’agissait de s’intéresser plus particulièrement aux Français des classes moyennes, qui sont les plus exposés à la fois au maximum de contraintes — de mobilité par exemple, ou énergétiques avec l’habitat individuel – et au maximum de pression financière, leurs difficultés de pouvoir d’achat étant bien connues.
Mais l’objectif était justement de le relever de façon positive. Et de le faire pour les entreprises qui nous ont fait confiance et sont engagées dans la transition écologique, et donc dans un combat permanent pour articuler leurs propres contraintes financières, leurs objectifs de rentabilité et leur responsabilité dans la construction d’un modèle de société plus durable. Le but ultime était donc de sortir d’un certain millénarisme, ou, en tout cas, d’une vision conflictuelle voire irréconciliable de la relation entre les Français, les entreprises, et la transition écologique. Et, au contraire, d’essayer de comprendre ce qui était malgré tout facteur d’optimisme et de lien dans la perspective d’une transition réussie.
Quels ont été vos partis-pris clés pour mener cette étude ?
Nous voulions éviter deux pièges. Celui d’obtenir des récits dystopiques qui n’auraient pas beaucoup fait avancer les choses. Et, de façon symétrique, de n’avoir que des récits complètement utopiques, de l’ordre de la science-fiction. L’idée était en effet de comprendre quels étaient aux yeux de ces Français les contraintes, les aspirations, mais aussi les conditions de réussite qu’ils imaginaient pour ce nouveau modèle de société.
Nous voulions éviter deux pièges. Celui d’obtenir des récits dystopiques qui n’auraient pas beaucoup fait avancer les choses. Et, de façon symétrique, de n’avoir que des récits complètement utopiques, de l’ordre de la science-fiction.
Pour mener cette étude, le parti pris a donc été tout d’abord de les acculturer à l’exercice en partageant avec eux des scenarii inspirés de ceux de l’Ademe. Une façon de les aider à placer le curseur au bon niveau : « ni en 2030, ni en 2080 » ! Puis de faire confiance à la fois à la réflexion et à l’imagination des Français avec qui nous avons travaillé. Donc de les solliciter d’abord en leur demandant une pensée articulée, que l’utilisation du web au sein d’une communauté en ligne comme nous les animons depuis maintenant 17 ans permet de façon très efficace. Mais aussi de les solliciter de façon plus créative, dans une forme d’atelier d’écriture en ligne sur leur vie en 2050. Cette approche méthodologique s’est montrée à la fois puissante et extrêmement gratifiante à mettre en œuvre, à la fois pour les participants, pour nous et pour nos clients. Cela ne nous a néanmoins pas étonnés compte tenu de la culture littéraire de notre pays, et des différentes expériences de co-storytelling déjà menées pour les marques avec qui nous travaillons.
Nous avons donc fait des consommateurs citoyens avec lesquels nous avons travaillé des auteurs. Quand nous leur avons demandé de se projeter et de nous raconter leur vie en 2050, ils ont partagé avec nous leurs opinions mais aussi des récits de vie imaginaires, sur le mode de la « fiction narrative ».
Nous avons donc fait des consommateurs citoyens avec lesquels nous avons travaillé des auteurs. Quand nous leur avons demandé de se projeter et de nous raconter leur vie en 2050, ils ont partagé avec nous leurs opinions mais aussi des récits de vie imaginaires, sur le mode de la « fiction narrative ».
Le pari a-t-il été réussi ? Les Français sont-ils vraiment parvenus à se projeter à cet horizon 2050 ?
Nous voulions à la fois de la projection et une dose de pragmatisme. Cette double condition s’imposait pour comprendre de la façon la plus fine et en même temps la plus opérationnelle possible quel était le chemin, la voie nécessairement étroite, que ces Français étaient prêts à imaginer et à emprunter avec les entreprises, les pouvoirs publics, tous les acteurs de la société. Et, de ce point de vue, nous n’avons pas du tout été déçus ! Ils ont en effet extraordinairement bien joué le jeu avec nous. Nous avons au total réuni 176 participants pendant un peu plus de 15 jours, et ils ont posté plus de 1400 contributions ce qui est absolument considérable. Surtout compte tenu de la qualité souvent exceptionnelle des contributions en question – des récits très détaillés et imagés, des interactions nombreuses, une émulation très fructueuse en termes de recherche d’insights.
Nous avons au total réuni 176 participants pendant un peu plus de 15 jours, et ils ont posté plus de 1400 contributions ce qui est absolument considérable. Surtout compte tenu de la qualité souvent exceptionnelle des contributions en question – des récits très détaillés et imagés, des interactions nombreuses, une émulation très fructueuse en termes de recherche d’insights.
Cette idée de fiction narrative, d’atelier d’écriture mêlant intimement la démarche qualitative et l’esprit collaboratif a donc été très forte, pour aller plus loin que la simple utopie ou que la dystopie désespérante. Elle nous a permis de dépasser le débat traditionnel sur la fiabilité du déclaratif. Et ainsi d’approcher au mieux un sujet si complexe, à la fois très concret – on parle bien de la vie quotidienne, de la mobilité, de l’énergie, de l’alimentation, donc finalement d’aujourd’hui… – et évidemment très projectif. Du reste, nous nous sommes aperçus que 2050 n’était pas si lointain pour les Français avec qui nous avons travaillé. Dans une Histoire qui leur semble en voie d’accélération permanente, une génération est un horizon raisonnable, dans lequel on peut imaginer vivre. Mais qui donne aussi l’espace pour rêver – ce qui est clé bien sûr, si on veut comprendre à quelles conditions et pour quels bénéfices ils sont prêts à bouger, à s’engager et à faire des efforts.
Cette idée de fiction narrative, d’atelier d’écriture mêlant intimement la démarche qualitative et l’esprit collaboratif a donc été très forte, pour aller plus loin que la simple utopie ou que la dystopie désespérante. Elle nous a permis de dépasser le débat traditionnel sur la fiabilité du déclaratif.
Si c’était à refaire ? Quels changements introduiriez-vous ? Que garderiez-vous absolument ?
Les changements que nous introduirions seraient sans doute très dépendants des clients avec qui nous pourrions travailler, si une telle démarche – et bien sûr c’est ce que nous souhaitons – était reconduite à l’avenir. Ils seraient complètement liés à ce que nous pourrions concrètement injecter comme idées, propositions ou initiatives, pour animer la conversation, faire réagir les participants, et donner à ces consommateurs-citoyens envie de s’engager et d’imaginer le futur avec nous. En leur donnant par exemple des concepts innovants pour réfléchir avec eux à la façon de se les réapproprier et de les intégrer dans leur vie demain.
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Nous garderions naturellement l’esprit collaboratif d’une telle démarche qualitative. Et cette idée de proposer un atelier d’écriture. Celui-ci donne un espace unique aux gens que nous invitons à s’exprimer, tout en en faisant un outil puissant de recherche d’insights, et d’insights projectifs.Mais peut-être l’enseignement essentiel à tirer de cette expérience est que nous garderions l’ambition de prendre le maximum de plaisir, tant il a été fort tout au long de cette démarche. Et parce que c’est un carburant irremplaçable, pour mener à bien ce type de projet.
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Véronique Langlois @ Xavier Charpentier