Et si l’impératif des marques à avoir obligatoirement un engagement RSE méritait d’être challengé ? Céline Grégoire (Adding Light), revient ici sur cette notion souvent entendue comme une forme de militantisme plus ou moins radical, le risque étant d’en arriver à des postures contre-productives. Elle nous propose son regard sur le rôle des marques dans un contexte qui doit, selon elle, inviter à intégrer la complexité plutôt qu’à l’éluder.
MRNews : S’engager est-il selon vous un impératif pour les marques aujourd’hui ?
Céline Grégoire (Adding Light) : Il me semble qu’il y a une vraie question à se poser sur la nature de cet engagement, en assumant le fait qu’il soit relativement complexe d’y répondre. Pour de nombreux acteurs, y compris côté médias ou agences de communication, il y aurait une forme d’évidence à ce que les marques aient un engagement de type RSE. Avec l’argument, sondages à l’appui, que cela correspond à une attente et même à une exigence de la part des consommateurs. Or je pense que cette conviction repose très souvent sur une confusion entre deux « entités » différentes que sont l’entreprise d’un côté, et la marque de l’autre, la seconde étant la face émergée de la première. Chaque marque est unique. Certaines marques sont en effet parfaitement fondées à faire ce choix d’un fort engagement RSE, parce que c’est dans leur nature profonde. Mais, à mon sens, il ne doit surtout pas y avoir de systématisme quant à celui-ci.
Je pense que cette conviction (que les marques doivent impérativement avoir un engagement RSE) repose très souvent sur une confusion entre deux « entités » différentes que sont l’entreprise d’un côté, et la marque de l’autre, la seconde étant la face émergée de la première.
L’impératif de l’engagement RSE s’applique aux entreprises, mais pas aux marques, en tout cas pas systématiquement ?
Exactement ! Les entreprises ont aujourd’hui l’obligation d’avoir une stratégie RSE, à définir bien-sûr en fonction de leur ADN et secteur d’activité. Elles peuvent se borner à respecter les règles posées par l’État, ou être volontaristes en mettant le curseur là où elles le jugent bon. Bien sûr, lorsque l’engagement RSE est fort, l’entreprise peut avoir la volonté qu’il rejaillisse sur la marque commerciale. Celle-ci doit intégrer cette composante, mais jusqu’à quel point ? Est-ce véritablement créateur de valeur pour elle ? Ce sont des questions incontournables de notre point de vue. Et les réponses sont loin d’être évidentes, cet engagement RSE pouvant dans certains cas être contre-productif. Un nombre sans doute croissant de marques prennent aujourd’hui du recul. Elles ont suivi ce qui apparaissait comme une évidence, le fait que le sort de planète faisait partie des préoccupations majeures des consommateurs. En réalité, s’ils sont conscients de ces enjeux, ils ne les mettent pas nécessairement au-dessus des autres. On le voit notamment au travers des classements des marques préférées des Français. Celles qui sont plébiscitées le sont pour des bénéfices bien souvent tout autre.
Un nombre sans doute croissant de marques prennent aujourd’hui du recul. Elles ont suivi ce qui apparaissait comme une évidence, le fait que le sort de planète faisait partie des préoccupations majeures des consommateurs. En réalité, s’ils sont conscients de ces enjeux, ils ne les mettent pas nécessairement au-dessus des autres.
Pour une marque, faire de l’engagement RSE LE levier d’attachement des consommateurs peut donc être un facteur de risque ? Et, en même temps, la marque doit agir en cohérence avec l’entreprise dont elle émane…
Tout à fait. La marque a l’obligation à être « poreuse » vis-à-vis de l’écosystème où elle intervient, dont l’entreprise à laquelle elle appartient fait bien sûr partie. Mais elle peut courir des risques importants en effet si elle prend un engagement RSE fort dans le cas où ce ne serait pas cohérent avec son identité et son histoire, ou même avec la catégorie dans laquelle elle opère. Cela peut affecter sa crédibilité, et donc la confiance de ses cibles, celle-ci n’étant jamais facile à restaurer. Si toutes les marques font des enjeux RSE leur axe dominant de discours, cela banalise celui-ci, peut générer la perception d’un manque de sincérité… Et entamer leur singularité et leur Equity ! Alors même que c’est le devoir premier de la marque, en tant qu’actif essentiel de l’entreprise, que de créer de la valeur.
Le devoir premier de la marque, en tant qu’actif essentiel de l’entreprise, est de créer de la valeur.
Vous l’avez dit, certaines marques sont fondées à définir leur engagement sur cet axe RSE. Pour les autres, sur quoi doivent-elles s’engager pour créer cette valeur ?
Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée que la marque aurait l’impératif de s’engager… Elle est libre ! Oui, elle doit nécessairement s’engager dans une relation avec ses cibles et dans l’accomplissement d’une mission, sous-tendue par une vision. Mais, en réalité, elle se doit surtout d’être engageante vis-à-vis de ses consommateurs, en leur donnant l’envie de s’attacher à elle, à la fois par l’expérience et par le récit qu’elle leur propose. Elle doit également susciter une forme d’engagement de la part des collaborateurs.
La marque se doit surtout d’être engageante vis-à-vis de ses consommateurs, en leur donnant l’envie de s’attacher à elle, à la fois par l’expérience et par le récit qu’elle leur propose. Elle doit également susciter une forme d’engagement de la part des collaborateurs.
La valeur d’une marque repose toujours, il me semble, sur ces deux éléments clés — et en grande partie liés — que sont l’utilité, au sens de sa capacité à jouer un rôle unique dans la vie des gens, et la confiance qu’elle génère. Celles-ci devant se fonder sur des éléments singuliers, propres à chacune…
Le cheminement des marques dans le contexte que vous décrivez n’est pas si facile à assurer. Comment les aidez-vous à répondre au mieux à ces obligations ? Avec quels outils ?
Le processus d’accompagnement que nous proposons intègre plusieurs étapes, dont un diagnostic et un exercice de co-construction de plateforme de marque. Dans cette phase de diagnostic, nous sommes le plus souvent amenées à mener des chantiers de type « fonds de marque ». Il se trouve que nous en avons réalisé un certain nombre ces derniers temps. Ce qui ne tient sans doute pas au hasard, mais à une vraie demande des marques avec lesquelles nous travaillons. Celles-ci mettent leur Equity au cœur de leurs priorités, et ressentent le besoin de redécouvrir leur singularité profonde.
Il y a une vraie demande (pour ces diagnostics) de la part des marques avec lesquelles nous travaillons, qui mettent leur Equity au cœur de leurs priorités, et ressentent le besoin de redécouvrir leur singularité profonde.
Je dois cependant ajouter que nous avons fortement revisité ce type d’exercice, nous l’avons « augmenté » pour l’adapter aux exigences du contexte dans lequel évoluent les marques aujourd’hui. Il est nécessaire en effet de croiser les regards sur beaucoup d’angles différents, en s’intéressant à une très large palette de parties prenantes. Bien sûr les consommateurs ! Mais aussi l’interne, avec les équipes et le dispositif de production de l’entreprise, ce qui suppose – et c’est très souvent passionnant – d’aller visiter les usines et les entreprises pour s’immerger dans la culture et les enjeux business de nos clients. Un second point extrêmement important est que nous nous intéressons à une perspective dynamique de la marque, à son potentiel.
Comment définissez-vous et appréhendez cette notion de potentiel ?
Le fond de marque peut induire à élaborer une photographie, et donc un aperçu relativement figé. Or une marque est un être vivant. L’idée consiste plutôt à générer une vision dynamique de celle-ci. Il faut cerner les éléments d’identité qui lui sont propres, et qui sont le plus souvent associés à ses fondations, à l’acte qui la fait naître. Mais aussi s’intéresser à la façon dont elle peut s’intégrer dans son temps et le contexte à venir. Cela suppose notamment de mobiliser nos compétences de planning stratégique, qui sont clés pour pouvoir anticiper les possibles.
Le fond de marque peut induire à élaborer une photographie, et donc un aperçu relativement figé. Or une marque est un être vivant. L’idée consiste plutôt à générer une vision dynamique de celle-ci.
Voyez-vous un dernier conseil important à adresser aux équipes études ou aux responsables des marques au sein des entreprises ?
Nous l’avons évoqué, piloter une marque n’est certainement pas un exercice simple aujourd’hui. Nous croyons qu’il ne faut surtout pas éluder cette complexité, mais au contraire l’intégrer, en se tenant à distance des diktats simplificateurs. Chaque marque est un cas unique, avec une histoire, une identité, et un contexte dans lequel elle sera amenée à évoluer. La connaissance est donc une vraie arme pour tirer le meilleur potentiel de celle-ci, et faire en sorte qu’elle apporte la plus grande valeur possible, à ses clients mais aussi à l’entreprise et qu’elle stimule l’envie des collaborateurs de la piloter au quotidien.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Céline Grégoire