DOSSIER DU MOIS

# Les marques doivent-elles s’engager ? Et si oui comment ? (volet 1)

"L’engagement sans réflexion sur son imaginaire n’est que ruine de l’âme de la marque"

Sylvie Le Tadic
Consultante prospective et stratégie d’Adwise

8 Avr. 2025

Sylvie Le Tadic - Consultante prospective et stratégie d’Adwise

Partager

Pour Sylvie Le Tadic (Adwise), les marques font aujourd’hui face à un paradoxe : des consommateurs désabusés et peu attentifs, mais qui n’en attendent pas moins d’elles. Elle partage sa vision des questions qu’elles doivent se poser pour y répondre, convaincue que leur engagement doit relever d’un véritable « acte de foi ».

MRNews : S’engager peut sembler aujourd’hui être un impératif pour les marques. Doivent-elles nécessairement répondre à celui-ci ?

Sylvie Le Tadic (Adwise) : Les marques sont à la croisée des tensions. D’un côté, des consommateurs saturés de messages, zappeurs, inattentifs, désengagés – et qui, soyons honnêtes, n’attendent plus grand-chose des marques. Rappelons que 74% des marques pourraient disparaitre sans que personne ne soit affecté selon Havas media network, 2024. De l’autre, des marchés matures, ultra-compétitifs, où les offres et les discours se ressemblent et les marques deviennent interchangeables. Ajoutons à ça une consommation de contenu éclatée sur mille canaux, qui fragmente l’attention et dilue les identités. Et en interne ? Des collaborateurs de plus en plus en quête de sens, qui veulent comprendre pourquoi ils s’engagent, et pour quoi. 

74% des marques pourraient disparaitre sans que personne ne soit affecté selon Havas media network, 2024

Et puis, paradoxalement peut-être, les marques sont attendues au tournant. Elles n’ont jamais été autant remises en question. Ce qui se passe avec Tesla, ou encore les appels au boycott de certaines marques américaines, en sont des exemples criants.

Dans ce contexte, l’engagement ne peut plus être un vernis. Il devient une ligne de force. Exigeante. Structurante. Et attendue à tous les étages.

Selon quels principes doivent-elles définir leur engagement ?

Elles ne doivent surtout pas prendre cet engagement à la légère ! S’engager, pour une marque, ne signifie pas simplement suivre les tendances du moment ou céder à la pression sociale. Cela nécessite une réflexion profonde sur la nature même de cet engagement. S’engager est un acte de foi. C’est « donner sa parole en caution, lier par une promesse », c’est se mettre dans, s’exposer dans toute sa singularité pour une idée, un mouvement, rejoindre l’universel, ou du moins le général. L’engagement signifie alors le commencement d’une histoire, la décision première qui oriente et structure les décisions et actes à venir. 

S’engager, pour une marque, ne signifie pas simplement suivre les tendances du moment ou céder à la pression sociale. Cela nécessite une réflexion profonde sur la nature même de cet engagement. S’engager est un acte de foi.

Il s’agit donc pour la marque de définir clairement les causes qu’elle souhaite défendre, en cohérence avec ses valeurs fondamentales et son identité. C’est ici que l’authenticité devient cruciale. Un engagement de façade, déconnecté de la réalité des actions de la marque, ne trompera pas les consommateurs et pourrait même se retourner contre elle, détruisant la confiance patiemment construite. C’est ce qu’a bien compris E. Leclerc par exemple. 

L’authenticité est LA condition clé d’un engagement pertinent pour une marque ? Comment se manifeste-t-elle ?

L’authenticité, dans l’engagement, implique une cohérence totale entre le discours et les actions. Elle suppose de la transparence, de l’honnêteté et de la sincérité et même sans doute une forme de vulnérabilité. Cela signifie que chaque promesse faite par la marque doit être suivie d’effets concrets et mesurables. Il ne suffit plus d’afficher des slogans ; il faut prouver, par des actions tangibles, que la marque contribue réellement au bien commun. Mais, encore une fois, pour jouer à plein, l’authenticité devrait renouer avec sa force subversive et de contestation sociale. C’est une véritable prise de risque. 

L’authenticité, dans l’engagement, implique une cohérence totale entre le discours et les actions (…). Cela signifie que chaque promesse faite par la marque doit être suivie d’effets concrets et mesurables.

Cependant, l’engagement authentique, bien que fondamental, ne suffit pas. Il doit se jumeler à un imaginaire. Les imaginaires sont ces récits, ces symboles et ces rêves qui donnent à vivre du sens. Une marque engagée, mais dépourvue d’un imaginaire attractif est réduite à sa pure fonction, elle est amputée de toute la part qui passe par les représentations et ainsi de son pouvoir de transformation et risque alors de passer inaperçue ou de manquer de l’élan nécessaire pour mobiliser et inspirer.

Une marque engagée, mais dépourvue d’un imaginaire attractif est réduite à sa pure fonction. Elle est amputée de toute la part qui passe par les représentations et ainsi de son pouvoir de transformation et risque alors de passer inaperçue ou de manquer de l’élan nécessaire pour mobiliser et inspirer.

L’authenticité doit donc s’accompagner d’une capacité à nourrir l’imaginaire collectif …

Absolument ! Cela signifie que la marque doit non seulement choisir un combat mais aussi proposer une vision du monde qui inspire, qui fait rêver, et qui donne envie de s’associer à elle en créant de la connivence. Cet imaginaire désirable est ce qui transforme une marque engagée en une marque mémorable, capable de créer un lien émotionnel puissant avec ses publics.

Dans cette époque de bataille culturelle autour des valeurs, il est essentiel que les marques redécouvrent leur propre mine d’or : ce qui les rend réellement singulières, vivantes, humaines. À force de courir après les tendances, les algorithmes et les effets de manche, elles en oublient parfois l’essentiel. Réinvestir le long terme, affirmer une vision, cultiver un supplément d’âme : c’est là que se joue leur vraie valeur. Pas dans le bruit, mais dans la clarté. Pas dans la course, mais dans la constance.

Les marques qui sauront s’engager de manière authentique et cohérente, tout en nourrissant un imaginaire désirable, seront celles qui non seulement résisteront aux crises actuelles, mais qui réussiront à bâtir des relations durables et profondes avec leurs publics. Elles deviendront des repères dans un monde en quête de sens, des acteurs de confiance capables de faire la différence là où cela compte vraiment.

Les marques qui sauront s’engager de manière authentique et cohérente, tout en nourrissant un imaginaire désirable, seront celles qui non seulement résisteront aux crises actuelles, mais qui réussiront à bâtir des relations durables et profondes avec leurs publics.

Quelles questions doivent se poser les marques pour structurer efficacement leur démarche ?

Trois grandes interrogations me semblent indispensables. La marque doit d’abord définir sa vision et sa mission fondamentale. Au-delà de la simple vente de produits ou de services, quelle est sa raison d’être ? Et quelles valeurs guident ses actions ? On peut citer par exemple Patagonia, qui « existe pour sauver notre planète », ou Nike qui a l’ambition de « faire tout son possible pour développer le potentiel humain » à travers sa mission : « apporter inspiration et innovation à tous les athlètes du monde » ou encore Axa qui inscrit sa raison d’être « agir pour le progrès humain en protégeant ce qui compte » dans une vision prospective du risque. 

Une seconde grande interrogation doit permettre à la marque d’identifier les causes qui résonnent le plus avec ses valeurs et son identité. En quoi et comment sont-elles pertinentes pour le public cible. C’est là que la marque doit mettre à l’épreuve sa capacité à s’engager. Est-elle bien disposée à le faire de manière cohérente non pas pour quels mois, mais à long terme ? Est-elle prête à subir les critiques qui pourront lui être adressées du fait de cet engagement, qu’elles proviennent des consommateurs, d’activistes ou d’autres parties prenantes de la société ? Se sent-elle à même d’assumer les risques et les éventuelles crises ? 

Lire aussi > L’interview de Sylvie Le Tadic et Florence Hussenot (Adwise) : « Le consommateur de 2030 sera pris dans des jeux de déséquilibre et tension multiples »

La troisième interrogation clé pour la marque est celle de la cohérence possible entre ses paroles et ses actes. Est-elle bien en mesure de refléter ses engagements dans ses actions concrètes ? Et comment imagine-t-elle gérer les situations où il pourrait y avoir un écart entre ses discours et ses actes ?

Ces questions ne correspondent-elles pas aux étapes clés de la définition d’une plateforme de marque ?

Tout à fait ! Nous commençons toujours par des entretiens Socrate auprès des collaborateurs et de la direction pour saisir les axes forts et partagés de l’ADN de la marque, les fameuses « mines d’or ». A l’analyse et adossé à notre Observatoire socioculturel, le TrendsLab, nous faisons émerger les grands axes de mutations sur lesquels reposent l’activité de la marque, pour définir ensuite le territoire d’engagement et la vision, puis le rôle et l’ambition. 

Nous commençons toujours par des entretiens Socrate auprès des collaborateurs et de la direction pour saisir les axes forts et partagés de l’ADN de la marque, les fameuses « mines d’or ».

Pour que l’exercice soit complet, la marque se doit également d’identifier l’imaginaire qu’elle souhaite véhiculer, puis se poser deux questions essentielles. Cet imaginaire se connecte-t-il bien à ses valeurs et aux engagements qu’elle a préalablement définis ? Et enfin, est-elle bien à même de rendre cet imaginaire attrayant et pertinent pour son public cible.

Quels sont les outils qu’Adwise utilise pour accompagner les marques dans ce travail ?

C’est d’abord une démarche avant d’être un outil ; et surtout ad hoc car tout dépend où en est la marque. Cette démarche méthodologique s’appuie à la fois sur du recueil de données — interne et externe—, sur une analyse transversale de celles-ci et surtout sur une recherche conceptuelle. Pour donner à rêver, il faut le penser avant ! Et c’est là où notre observatoire socioculturel, le TrendsLab, nous sert de filtre et de cristallisation des concepts. Cet outil, propriétaire et stratégique, offre une cartographie des facteurs de changements et des aspirations des consommateurs, et les tendances émergentes. En capturant ces dynamiques, nous proposons aux marques l’Idée conceptuelle pour aligner leur engagement avec les mutations sociétales et à en assurer ainsi la pertinence. Nous leur permettons en outre d’augmenter leurs discours par l’imaginaire, le challenge étant de résonner avec les aspirations profondes des consommateurs, en intégrant des symboles et des récits à même de les captiver et de les inspirer. Bref, nous les aidons à créer un dialogue authentique avec les consommateurs, utiliser les insights de l’observatoire pour nourrir une communication qui soit à la fois sincère et connectée aux réalités du public.

En savoir plus > TRENDSLAB™ : une cartographie des tendances et drivers (Adwise)

En fin de compte, réfléchir à la marque, son engagement et son imaginaire doit se faire en coopération avec les collaborateurs ; car la marque « appartient » autant aux collaborateurs qu’à l’entreprise et aux consommateurs.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Sylvie Le Tadic

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

Partager

S'ABONNER A LA NEWSLETTER

Pour vous tenir régulièrement informé de l’actualité sur MRNews