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« Représenter Esomar est une excellente façon d’être acteurs de l’évolution de l’univers Insights » – Interview d’Isabelle Fabry, Jennifer Picard et Céline Astruc

24 Mar. 2025

Interview Isabelle Fabry, Céline Astruc et Jennifer Picard, co-représentantes Esomar France

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Esomar est la plus grande organisation mondiale dans l’univers Market Research et Insights, avec plus 12 000 membres, un Conseil fraichement réélu, et une présidente française depuis maintenant quelques jours, Anne-Sophie Damelincourt. Mais c’est aussi un large réseau de Représentants, qui jouent une partition essentielle au niveau local. Trois professionnelles ont aujourd’hui ce rôle en France : Isabelle Fabry (fondatrice d’ActFuture) et, depuis l’an dernier, Céline Astruc et Jennifer Picard, qui travaillent respectivement chez Renault et Opella. Nous vous proposons de mieux connaitre leurs parcours et leurs motivations avec cette interview spéciale « Esomar dream team ».
(Photo, de haut en bas, et de gauche à droite : Jennifer Picard, Céline Astruc et Isabelle Fabry)

MRNews : Vous êtes aujourd’hui les 3 co-représentantes d’Esomar en France. Céline et Jennifer depuis l’an dernier, Isabelle depuis 7 ans maintenant. Nous avons déjà eu l’occasion, Isabelle, d’évoquer ensemble votre parcours. Peut-être souhaitez-vous formuler quelques mots en introduction ?

Isabelle Fabry : Oui, je tiens à remercier très chaleureusement Ketty (NDLR : Ketty Faivre Tchang), avec qui j’ai agi en tandem ces dernières années, avec beaucoup de plaisir. Je suis vraiment ravie de travailler depuis quelques mois maintenant avec Céline et Jennifer, avec qui j’ai déjà pu passer d’excellents moments, professionnels ou pas (rires), notamment à Athènes, et avec qui la connexion est parfaite. Elles ont toutes les deux la chance d’évoluer dans des entreprises internationales, ce qui raisonne bien sûr fortement avec la vocation d’Esomar. Et probablement aussi d’incarner deux visions à la fois différentes et complémentaires des insights, ce qui est extrêmement appréciable. Je me dois naturellement de faire une mention toute spéciale pour Anne-Sophie Damelincourt, qui vient d’être élue à la présidence d’Esomar. Ce qui est une formidable bonne nouvelle pour la communauté française !

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Pour ce qui est de mon cursus, en effet nous avions déjà eu l’occasion de l’évoquer. J’ajouterai juste que je suis depuis janvier la représentante France du réseau Women in Research (WIRe), histoire d’ajouter une casquette sur ma tête !

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Je précise que vous êtes également lauréate du concours Insight250, comme Jennifer. Céline, comment vous présenteriez-vous et votre parcours en quelques mots ?

Céline Astruc (Renault) : Mon parcours professionnel m’a jusqu’ici amenée à avoir deux vies. La première dans le monde de l’analyse sensorielle, sujet auquel j’ai consacré une thèse. Et la seconde dans le métier et l’univers des insights. J’ai occupé plusieurs postes dans ces fonctions, avec une dimension internationale importante en effet, en particulier lorsque je travaillais pour Alliance, avec Renault, Nissan et Mitsubishi. C’est toujours une expérience hyper enrichissante que d’être au contact de cultures aussi différentes. Je suis aujourd’hui Customer Insight Expert chez Renault. La fonction étant très centralisée, j’interviens sur une large variété de problématiques pour l’ensemble des marques du Groupe que sont Renault, Dacia, Alpine et Mobilize. Mais j’ai en réalité une double casquette, l’une très « Expertise », et l’autre fortement orientée « Transformation », pour gérer notamment les mutations du digital et de l’IA. Et également pour accompagner l’entreprise vers plus de Customer Centricity, alors que la culture « Ingénieur » est historiquement très présente.

Ce qui m’anime sans doute le plus dans cette fonction tourne autour de cette idée de questionner, de challenger — les autres, mais aussi soi-même — et de transformer. Et de trouver des terrains d’entente, de parvenir à dégager des consensus entre différentes parties prenantes, que ce soit en interne ou avec des partenaires externes.

Jennifer, quel est votre parcours de votre côté ? Votre rôle est-il très différent de celui de Céline ?

Jennifer Picard (Opella) : En passant un peu de temps ensemble, nous nous sommes découvert beaucoup de points communs, personnels et professionnels. Nos challenges sont en fait relativement similaires. Nous travaillons toutes les deux dans des environnements internationaux, en étant très polarisées sur des enjeux de transformation et de consumer centricity. Céline évoquait la forte culture « Ingénieure » de son entreprise, c’était aussi le cas chez Opella où la culture « Pharma » dominait lorsque nous étions encore une entité Sanofi, l’idée étant maintenant d’aller vers une plus grande orientation « Conso ». Nous avons cependant eu des formations et des parcours différents. Céline a un profil scientifique, alors que je suis passée de mon côté par la case « Sciences Po ». La dimension internationale a été une constante pour ce qui me concerne. J’ai démarré ma vie professionnelle dans le journalisme, pour des titres comme le New York Times et Courrier International. Puis j’ai bifurqué vers les études marketing, suite à une expérience qui m’a fait prendre conscience que c’était sans doute la meilleure façon de mettre la compréhension des gens au service de l’action. J’ai travaillé pour plusieurs cabinets ou instituts d’études comme Occurrence, Ipsos, June Marketing ou encore ma propre structure, WingResearch. J’ai aussi participé aux tous débuts de l’aventure du Social Listening chez Linkfluence dont j’étais associée il y a une quinzaine d’années. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de retrouver Guilhem Fouetillou, l’un des co-fondateurs de Linkfluence, lorsque j’ai rejoint Opella après mon expérience au sein du Groupe Pernod-Ricard.

Avec, déjà au sein de ce groupe, ce sujet clé de transformation de l’organisation ?

JP : En réalité, cet enjeu était très présent lorsque je travaillais côté instituts et agences. Parce que le fait d’intégrer de nouveaux outils comme le Social Listening n’avait rien de simple, cela heurtait beaucoup d’habitudes et de schémas mentaux. Chez June, mon rôle était d’accompagner les clients, mais aussi les équipes en interne sur la digitalisation des outils.

Chez Pernod-Ricard, où j’ai dirigé le centre d’excellence consumer insights dédié à l’optimisation du Mix Marketing, la transformation était en effet le sujet clé. Il l’est tout autant chez Opella, qui est l’ex-branche ‘Consumer Healthcare’ de Sanofi, qui se sépare de sa maison historique. On est venu me chercher spécifiquement pour accompagner la transformation du Groupe et son évolution vers plus de Consumer Centricity, mon intitulé de poste — Global Insight Transformation — le signifiant on ne peut plus explicitement. Ma mission est donc de réaliser celle-ci en mode accéléré !

Cet enjeu de « transformation » est tellement présent dans toutes les bouches à commencer par celles des médias, que cela peut prêter à sourire. Mais n’est-ce pas une grande chance à saisir pour les spécialistes du market research ?

IF : Je partage tout à fait ce point ! Disons les choses, transformer les organisations est un sacré challenge, la consumer centricity se jouant parfois loin des états-majors et des équipes Market Research. Mais nous devons le faire nôtre.

JP : Ma vision est que la consumer centricity doit être intégrée comme une véritable raison d’être dans les entreprises, tant cela implique de changements dans la façon de travailler, de réfléchir. Et il faut certainement que nous appliquions à nous-mêmes et à notre fonction cet impératif de transformation. Cela fait partie du challenge, même si la transformation ne doit surtout pas se limiter à cela.

CA : J’adhère vraiment à 100% à l’idée que le CMI a un rôle majeur à jouer dans ce contexte, c’est LE challenge clé que nous devons nous donner.

Quelles ont été, Jennifer et Céline, vos motivations à endosser ce rôle de représentantes Esomar ?

JP : La dimension internationale est évidemment essentielle. Ce rôle nous met dans une position privilégiée pour comprendre comment évolue l’industrie à l’échelle mondiale. Avec la diversité qui la caractérise puisque nous avons, outre les instituts, des sociétés qui ont au moins un pied dans le conseil si ce n’est deux, et les spécialistes des ‘martech’. Mais il nous permet aussi d’en être nous-mêmes les acteurs. Je considère que nous avons une forte responsabilité dans la construction du devenir de cette industrie, ne serait-ce qu’au travers des recrutements que nous sommes amenées à faire. Et également en faisant en sorte que certaines règles de conduite et d’éthique soient adoptées par le plus grand nombre. Je dois ajouter enfin que j’ai été très marquée par le travail fantastique effectué par Élisabeth Martine-Cosnefroy puis ensuite par Isabelle, qui sont l’une et l’autre très inspirantes dans la façon de s’engager au service d’Esomar et de la communauté.

CA : Je partage ces motivations. Peut-être le déclic de mon côté s’est fait avec ma participation à l’Insight Hub, après qu’Alain Klapisz m’ait passé le témoin. J’ai pu me rendre compte de la richesse des échanges entre pairs, du fait que je pouvais à la fois apprendre beaucoup, mais aussi apporter ma contribution. J’ai d’abord été présente à Esomar plutôt en tant que ‘spectatrice’, puis assez vite l’envie m’est venue d’être actrice comme l’évoque Jennifer, notamment sur la composante éthique du métier. J’ajouterai à ces motivations la dimension relationnelle. La connexion avec les autres membres, la possibilité de partager des moments sympathiques et enrichissants, c’est un vrai plus.

JP : Je dois quand même dire explicitement que l’argent n’est pas la motivation ! Nous n’allons pas nous enrichir matériellement en étant co-représentantes d’Esomar. J’ai souvent l’impression qu’il y a de fausses représentations à ce sujet, et cela me parait nécessaire de leur tordre le cou une fois pour toutes. Nous intervenons bénévolement, même si cela n’a rien de simple compte tenu de nos activités professionnelles et de nos vies de famille.

Isabelle, ces motivations vous semblent-elles « alignées » avec la vocation d’Esomar ?

IF : Absolument ! Esomar, c’est un corpus de règles de déontologie conçues pour s’appliquer partout de par le monde, sur tous les continents et dans toutes les cultures. Nous menons également un travail de lobbying extrêmement important, pour que les décisions juridiques soient prises en intelligence de nos métiers, l’exemple du RGPD l’illustre bien. Il y a aussi un côté « agitateur » dans notre rôle. Nous devons contribuer à ce que les bonnes idées qui naissent n’importe où, pourquoi pas en Montgolie, puissent être connues partout dans le monde, et que toute la communauté puisse ainsi s’en nourrir.

Il y a aussi un côté « agitateur » dans notre rôle. Nous devons contribuer à ce que les bonnes idées qui naissent n’importe où, pourquoi pas en Montgolie, puissent être connues partout dans le monde, et que toute la communauté puisse ainsi s’en nourrir.

Isabelle Fabry

Et je suis bien sûr 100% en accord avec ce qu’évoquent Céline et Jennifer sur la composante « humaine ». Côté instituts, nous sommes potentiellement concurrents les uns des autres. Mais cela ne pèse jamais dans les relations, qui sont au contraire très détendues. Je ressens la même chose lorsque nous contribuons à préparer les éditions du Printemps des Études, j’ai le sentiment que nous travaillons tous ensemble pour le bien commun.

JP : Pour rebondir sur ce que vient d’évoquer Isabelle, j’avoue être très sensible à cette préoccupation, très présente chez Esomar, de faire le lien entre les bases historiques du market research et les nouvelles technologies, et plus largement tout ce qui fait bouger les lignes. Sans faire tabula rasa, mais plutôt dans une perspective d’enrichissement, de complémentarité. J’ai ressenti les mêmes ondes en m’impliquant dans le renouvellement de l’Intelligence Forum. Cette connexion entre les fondements du market research et ce qui permet de le faire évoluer me semble très importante, cela a été une préoccupation constante dans mon parcours. Et je trouve formidable qu’Esomar fasse vivre cela à l’échelle mondiale, en lien avec les organisations locales.

Je suis très sensible à cette préoccupation, très présente chez Esomar, de faire le lien entre les bases historiques du market research et les nouvelles technologies, et plus largement tout ce qui fait bouger les lignes. Sans faire tabula rasa, mais plutôt dans une perspective d’enrichissement, de complémentarité.

Jennifer Picard

Quels changements avez-vous envie de porter chez Esomar ?

CA : Il y a à l’évidence une priorité pour Esomar, celle d’être aussi claire que possible sur ce qu’elle peut apporter à ses membres, et sur ce qui fonde sa différence par rapport à l’ensemble de l’écosystème. Elle ne peut pas se limiter à souligner sa dimension internationale, même si c’est bien sûr un atout décisif. Cela soulève des questions de communication, mais pas seulement. Je suis frappée pour ma part par la place que prennent les évènements estampillés Data ou Technologie auprès de la communauté marketing, en comparaison avec les manifestations purement « Insights ». Vivatech en est un bon exemple…

Il y a à l’évidence une priorité pour Esomar, celle d’être aussi claire que possible sur ce qu’elle peut apporter à ses membres, et sur ce qui fonde sa différence par rapport à l’ensemble de l’écosystème (…). Je suis frappée pour ma part par la place que prennent les évènements estampillés Data ou Technologie auprès de la communauté marketing, en comparaison avec les manifestations purement « Insights ». Vivatech en est un bon exemple…

Céline Astruc

JP : Esomar doit renforcer sa notoriété, c’est certain, en particulier auprès des plus jeunes et des nouveaux acteurs – et même des nouveaux métiers – qui s’intègrent dans notre univers. Cela s’applique aussi aux annonceurs, il est important qu’Esomar avance avec ses deux jambes, et pas uniquement avec le monde des instituts et agences. Le fait que nous soyons désormais deux co-représentantes travaillant côté « annonceurs » témoigne d’une certaine façon de cette volonté. Ce qu’évoque Céline me semble clé, il existe une forme de concurrence. Celle-ci est rude, mais c’est à nous d’être de bons storytellers et de créer des dynamiques. Il y a aussi, en lien avec ça, un vrai enjeu de valorisation de nos compétences, ce qui passe par la nécessité de mettre en avant des gens qui préfèrent spontanément l’ombre à la lumière des projecteurs.

IF : L’impératif pour Esomar d’agir au plus près des préoccupations business de nos membres, avec les bénéfices que cela suppose, a été un thème central dans la campagne d’Anne-Sophie Damelincourt. Elle l’a très clairement réaffirmé en tant que présidente (NDLR : retrouver ici l’interview d’Anne-Sophie Damelincourt).

Voyez-vous des derniers points à ajouter, s’agissant des actions sur lesquelles capitaliser ou des changements à apporter ?

CA : Dans le prolongement de ce que vient d’évoquer Jennifer, je crois que nous devons renforcer notre proximité avec le monde académique, qu’il s’agisse du milieu universitaire ou des écoles de commerce. D’autant qu’il y a une forte méconnaissance de nos métiers, y compris dans les Business schools.

IF : Parmi les gros points positifs et un peu dans le désordre, je citerai les collaborations fructueuses que nous avons nouées avec d’autres acteurs clés de l’univers Insights. C’est le cas notamment avec le Printemps des Études. Ne serait-ce que l’an dernier, nous avons organisé 4 conférences, sur des sujets importants. Et bien sûr aussi la relation avec Market Research News. La France a participé pour la première fois en 2024 à notre « Research Got Talent ». Nous devons poursuivre, c’est une démarche clé pour toucher les nouvelles générations. Je suis ravie par ailleurs que nous ayons pu prendre l’initiative du déjeuner des Francofuns avec Jean-Marc Léger, à Athènes. Cela a été une belle réussite, il faut absolument que nous prolongions cette dynamique.

Côté évolutions, nous aimerions beaucoup relancer le principe d’un évènement dédié à la communauté française, comme nous l’avons fait pendant quelques années avec le Summer Event. Nous avons encore beaucoup d’autres idées dans notre besace, mais je crois beaucoup à la nécessité de ne pas être dans la sur-promesse, et d’agir avant tout en se focalisant sur les priorités que nous avons évoquées.


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