Comment faire d’une obligation – voire d’une assignation – une opportunité ? Luc Balleroy (OpinionWay) partage sa vision des conditions clés à réunir pour que les marques, quelles qu’elles soient, puissent s’engager dans l’intérêt de leurs consommateurs, de la société… et du leur. Il pointe également les principaux pièges à éviter.
MRNews : Il est beaucoup question de l’engagement des marques. Comment définiriez-vous cette notion ?
Luc Balleroy (OpinionWay) : D’un point de vue épistémologique, la marque est un label de confiance. En garantissant une production identique de ses biens et de ses services, elle permet aux clients de retrouver la même qualité d’expérience. Avec l’évolution de la consommation, la marque s’est dotée de qualités émotionnelles et aspirationnelles, en s’incarnant dans un système de valeurs revendiquées, héritées de son histoire ou, plus tactiquement, attendues par ses clients.
La montée des enjeux et préoccupations sociétales et environnementales a naturellement conduit les marques à répondre à ces attentes pour conserver ou renforcer leur caractère aspirationnel. Pour certaines, cela s’est fait de manière fluide. Pour d’autres, l’exercice a été plus compliqué, certaines allant jusqu’à communiquer avant d’agir, donnant lieu à des accusations de greenwashing. Mais les choses ont évolué. Les réglementations ont renforcé les exigences, tant sur la validité des allégations que sur l’intégration des enjeux de développement durable dans la gouvernance des entreprises. Ce qui a changé, c’est que les marques sont désormais assignées à s’engager…
Les réglementations ont renforcé les exigences, tant sur la validité des allégations que sur l’intégration des enjeux de développement durable dans la gouvernance des entreprises. Ce qui a changé, c’est que les marques sont désormais assignées à s’engager…
L’engament est donc une contrainte ?
Oui, mais précisément, le jeu dans lequel elles doivent s’inscrire est bien de transformer cette contrainte en un avantage, une opportunité. Donc aujourd’hui l’engagement d’une marque, ne peut plus se réduire à une simple déclaration d’intention, c’est un acte, qui se traduit par des décisions concrètes, visibles, mesurables. C’est une manière d’être au monde, en cohérence avec ses valeurs, ses produits, ses modes de production, sa communication.
Autrement dit, une marque engagée, c’est une marque qui agit pour faire bien, ou pour faire mieux.
Une marque engagée, c’est une marque qui agit pour faire bien, ou pour faire mieux.
Cette obligation s’applique donc à toutes les marques ?
Oui. Aujourd’hui, s’engager n’est plus une option. C’est un impératif qui est à la fois réglementaire, sociétal et réputationnel. Les marques sont désormais « assignées à s’engager », qu’elles le veuillent ou non. Les régulations encadrent de plus en plus fermement les allégations environnementales ou sociales. Et en parallèle, les réseaux sociaux et les plateformes d’évaluation donnent à tout un chacun les moyens de juger, comparer, alerter. L’engagement devient un terrain d’observation publique.
Aujourd’hui, s’engager n’est plus une option. C’est un impératif qui est à la fois réglementaire, sociétal et réputationnel.
Toutes les marques ne le vivent à l’évidence pas dans les mêmes conditions. Certaines sont emblématiques parce que leur engagement est inscrit dans leur modèle même. BlaBlaCar par exemple : sa promesse de covoiturage repose sur un usage plus sobre de la voiture individuelle — elle est, par essence, un acteur de la mobilité durable. Idem pour Vinted, qui structure son activité autour de la seconde main, même si son succès soulève de nouvelles questions. À l’inverse, d’autres marques doivent composer avec une histoire ou un modèle plus complexe. Dans l’énergie par exemple, le contraste entre un acteur du pétrole et un acteur du nucléaire — de plus en plus perçu comme « propre » — illustre bien la diversité des points de départ. C’est pourquoi l’ampleur et la sincérité des efforts entrepris doivent être prises en compte pour juger de l’engagement d’une marque, plus que son storytelling.
L’ampleur et la sincérité des efforts entrepris doivent être prises en compte pour juger de l’engagement d’une marque, plus que son storytelling.
En somme, c’est une obligation dans laquelle elles peuvent trouver leur intérêt…
Oui. Mais à condition de choisir la voie du long terme. L’engagement est un facteur de résilience, d’attractivité, de préférence de marque. C’est aussi une source d’innovation, quand il s’incarne dans des démarches concrètes comme le design et l’éco-conception qui visent à faire beau, utile et mieux avec moins, selon le principe de l’analyse de la valeur. Un principe qui croise les attentes des acheteurs, de la planète et de l’entreprise. Certaines entreprises s’y sont essayées avec succès, comme Decathlon — malgré une faille récente dans son système de production — ou Picard dans l’univers alimentaire.
L’engagement est un facteur de résilience, d’attractivité, de préférence de marque. C’est aussi une source d’innovation, quand il s’incarne dans des démarches concrètes comme le design et l’éco-conception qui visent à faire beau, utile et mieux avec moins, selon le principe de l’analyse de la valeur.
Mais toutes ces tentatives se heurtent à un verrou central de nos modèles économiques, déjà pointé dans les années 70, celui de la croissance obligée. Une croissance qui, année après année, conduit à une croissance exponentielle dans un monde fini. Kenneth Boulding disait déjà à l’époque : “Celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Bon, lui, il était économiste ! (rires)
Comment doivent-elles construire et mettre en acte leur engagement ? Sur quels processus s’appuyer ?
Le point de départ, c’est la cohérence. On ne peut pas « ajouter » de l’engagement comme on ajoute une couche de vernis. La marque doit partir de son activité, de son ADN, et aussi de son impact réel. Cela suppose un double travail. Il lui faut d’abord mener une analyse rigoureuse de son modèle et de ses externalités négatives ou positives, avec un bilan carbone, l’audit des filières, l’évaluation des usages, etc. Elle doit ensuite définir une stratégie claire de progrès, avec des priorités définies, des objectifs, un calendrier, des moyens… Et surtout des preuves à produire en continu.
On ne peut pas « ajouter » de l’engagement comme on ajoute une couche de vernis. La marque doit partir de son activité, de son ADN, et aussi de son impact réel.
Le design, par exemple, peut être un levier structurant. Faire « beau, utile et mieux avec moins » rejoint à la fois les attentes des consommateurs et les contraintes environnementales. Des entreprises comme Decathlon ou Picard ont exploré cette voie, avec plus ou moins de succès.
OpinionWay a élaboré une typologie des Français sur les enjeux de RSE, vous avez eu l’occasion de la présenter à nos lecteurs. Les marques engagées doivent-elles nécessairement penser leurs cibles selon le prisme de leur engagement ?
Je ne suis pas Normand mais je dirais oui et non ! Oui, parce qu’on ne peut pas parler d’engagement sans réfléchir à qui on s’adresse et comment. Et non, parce qu’il serait contre-productif de ne parler qu’à ceux qui sont déjà convaincus.
On ne peut pas parler d’engagement sans réfléchir à qui on s’adresse et comment. (Mais) il serait contre-productif de ne parler qu’à ceux qui sont déjà convaincus.
Dans notre typologie RSE, les « Plaisanciers insouciants » et les « Insulaires solos » représentent des profils moins réceptifs aux enjeux de transition. Faut-il pour autant les oublier ? Non. La vraie question est de savoir comment les embarquer progressivement, sans les culpabiliser ni les exclure. C’est là que la pédagogie, la créativité et la simplicité du message jouent un rôle clé.
Il ne s’agit surtout pas d’être donneur de leçons, mais d’offrir des portes d’entrée accessibles à chacun. La sobriété peut rimer avec bon sens, avec plaisir, avec liberté, et donc pas seulement avec contrainte.
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Une dernière question enfin. Vous accompagnez les marques depuis déjà quelques années sur ces enjeux. Quels enseignements vous ont le plus marqué à leur contact ?
Je retiendrais trois enseignements principaux, qui correspondent sans doute aux trois risques les plus importants. Le premier est celui du « Trop parler, pas assez agir. Beaucoup de marques tombent dans le piège du « green talk ». Or, la confiance ne se décrète pas, elle se construit par la preuve. Le second piège majeur consiste à négliger la cohérence interne. La crédibilité d’un engagement commence là. Si les équipes n’y croient pas, si les pratiques RH ou logistiques sont à rebours du discours, cela finit toujours par se voir.
Je rajouterai un dernier risque, qui est celui de ne penser qu’au court terme. L’exigence de rentabilité immédiate pousse souvent à minimiser l’effort. Pourtant, c’est en investissant dans le temps long que les marques créent le plus de valeur durable. À la fois pour elles, pour leurs clients, et aussi pour la société.
Ce qui change beaucoup la donne aujourd’hui, c’est que la question de l’engagement ne peut plus être périphérique. Elle devient nécessairement centrale dans la stratégie des marques, non seulement parce qu’elle répond à des attentes, mais surtout parce qu’elle détermine leur capacité à durer.
Plus globalement, je dirais que ce qui change beaucoup la donne aujourd’hui, c’est que la question de l’engagement ne peut plus être périphérique. Elle devient nécessairement centrale dans la stratégie des marques, non seulement parce qu’elle répond à des attentes, mais surtout parce qu’elle détermine leur capacité à durer.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Luc Balleroy