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Le ROI des études marketing : la fin nécessaire d’un tabou ? – Interview de Valérie Satre

28 Avr. 2025

Interview Valérie Satre - Le ROI des études Marketing

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Les études marketing, outils clés de compréhension des clients et des marchés, apparaissent souvent comme légitimes par essence — voire absolument indispensables. Faut-il pourtant qu’elles démontrent leur Retour sur Investissement (ROI) pour être pleinement reconnues ? Et si oui, comment le faire efficacement ?
Aujourd’hui consultante en Insight, Tendances & Innovation après un solide parcours côté annonceur (chez L’Oréal et au sein du Groupe SEB), Valérie Satre nous partage son point de vue sur un sujet à la fois stratégique et sensible, restant bien souvent dans l’angle mort des organisations.

MRNews : La question du Retour sur Investissement — du ROI — des études marketing revient régulièrement dans les échanges entre professionnels du domaine. Mais n’est-ce pas un peu incongru d’exiger un ROI pour une démarche consistant à acquérir de la connaissance. Cela laisse imaginer qu’on peut s’en passer…

Valérie Satre : Ma conviction est que démontrer le ROI des études marketing est une nécessité, un impératif même. Toutes les fonctions de l’entreprise sont aujourd’hui soumises à des exigences de performance et de pilotage via des KPI. Pourquoi les études y échapperaient-elles ? À ne pas le faire, elles risquent la marginalisation, l’exclusion des instances décisionnelles et l’alimentation de croyances infondées sur leur supposée inutilité.

Pour peser dans les arbitrages, convaincre en interne, et rayonner à leur juste place, les départements Insights doivent parler le langage du business, de la performance et de l’impact. Ce n’est pas une remise en question de leur légitimité, mais une voie indispensable pour la renforcer.

Pour peser dans les arbitrages, convaincre en interne, et rayonner à leur juste place, les départements Insights doivent parler le langage du business, de la performance et de l’impact. Ce n’est pas une remise en question de leur légitimité, mais une voie indispensable pour la renforcer.

Lire aussi > L’interview Microportrait de Valérie Satre

Démontrer le ROI des études marketing, est-ce si évident en pratique ?

Bien sûr que non ! Si c’était simple, on ne poserait plus la question. C’est un enjeu complexe, mais incontournable, à traiter comme un vrai projet stratégique. Il faut y associer les équipes CMI, les clients internes et le top management pour s’aligner sur les objectifs, définir les bons KPI et construire ensemble des modalités de mesure pertinentes.

Concrètement, plusieurs leviers existent. Le plus intuitif consiste à mesurer la performance d’un lancement produit ou d’une campagne sur lesquels les études ont contribué : part de marché, pénétration, chiffre d’affaires… en comparant le « avant / après ». 

La difficulté ? Isoler la part exacte imputable aux recommandations CMI. Là où l’analyse gagne en robustesse, c’est lorsqu’on s’appuie sur des éléments de forecast. Si une étude a prédit un potentiel de vente, une supériorité produit ou une amélioration de préférence, il devient possible de valider a posteriori la justesse des insights.

Si une étude a prédit un potentiel de vente, une supériorité produit ou une amélioration de préférence, il devient possible de valider a posteriori la justesse des insights.

Encore faut-il que les équipes aient le réflexe de le faire. Sinon, c’est le syndrome SNCF : on ne parle que des trains en retard. Autrement dit, des études dont les résultats se sont révélés erronés… C’est donc une responsabilité clé des équipes insights que de documenter la pertinence de leurs prédictions. Non seulement pour asseoir leur crédibilité, mais aussi pour progresser collectivement.

Vous avez occupé la fonction de Directeur CMI chez SEB. Avez-vous pu mettre en œuvre ce type d’analyse ?

Oui, et c’est même une expérience marquante de ma carrière. Nous avons très tôt mis en place une communauté de consommateurs, SEB&You, d’abord en France, puis à l’international. Elle avait pour vocation de nous aider sur des enjeux d’innovation et de co-création. Parmi les outils développés, cette communauté avait le privilège de tester en avant-première nos innovations, sous forme de Use Test à domicile avant lancement. Avec le recul de plusieurs dizaines de tests, nous avons observé une corrélation statistique très forte entre les scores de satisfaction recueillis auprès de notre communauté et les notes obtenues sur Amazon après commercialisation. C’était une démonstration probante de la prédictibilité de nos études, de la valeur de la communauté, et surtout du lien tangible entre les insights et la performance business.

Nous avons observé une corrélation statistique très forte entre les scores de satisfaction recueillis auprès de notre communauté et les notes obtenues sur Amazon après commercialisation. C’était une démonstration probante de la prédictibilité de nos études, de la valeur de la communauté, et surtout du lien tangible entre les insights et la performance business.

Par ailleurs, nous avions pu observer et démontrer que les axes d’amélioration remontés dans les avis clients Amazon étaient les mêmes que ceux identifiés par notre communauté. C’était une preuve additionnelle de notre capacité à alerter et à nourrir efficacement les équipes en charge de l’innovation avec les bons insights.

Au final, cette expérience a eu un impact très favorable sur notre image et a contribué à crédibiliser notre démarche auprès du top management. Elle a permis de valoriser le rôle du CMI comme partenaire stratégique, et pas seulement comme une fonction support. Chaque équipe peut — et devrait — trouver son propre proxy pour établir ce lien entre les insights et les résultats business.

La « morale » de cette expérience, c’est qu’il faut faire le lien entre les études et le business ?

Absolument. Il est fondamental d’adopter cet état d’esprit et de le traduire en pratiques concrètes. Trop souvent, les équipes Études / Insights interviennent en amont des décisions, mais restent déconnectées des résultats réels sur le terrain. Or, sans cette boucle de retour, il devient impossible de valider la pertinence des analyses, ni d’identifier ce qui fonctionne — ou non.

Le premier réflexe à adopter, c’est donc de mesurer les résultats business et de les comparer avec ce que les études avaient prédits : un sanity check qui permet ainsi de conforter la légitimité des recommandations formulées, ou au contraire, d’ajuster les méthodologies si nécessaire. Ce travail d’auto-évaluation est un puissant levier de crédibilité interne.

Le premier réflexe à adopter, c’est donc de mesurer les résultats business et de les comparer avec ce que les études avaient prédits : un sanity check qui permet ainsi de conforter la légitimité des recommandations formulées, ou au contraire, d’ajuster les méthodologies si nécessaire. Ce travail d’auto-évaluation est un puissant levier de crédibilité interne.

Lire aussi > Interview de Valérie Satre : « Mieux se connecter à la réalité de l’entreprise est un impératif pour la fonction Consumer Insight »

Un autre réflexe essentiel, selon moi, consiste à s’intéresser à l’efficacité perçue de la fonction Études par ses parties prenantes — en particulier les directions Marketing, R&D ou Innovation. Dans la pratique, ces directions utilisent les livrables CMI sans toujours formuler de retour structuré sur leur utilité ou leur impact. Et de leur côté, les équipes Insights n’osent pas toujours « demander des comptes » à ses clients internes : « Est-ce que cela vous a été utile ? Qu’en avez-vous fait ? Quelle valeur ajoutée percevez-vous ? »
Pourtant, ce sont des questions légitimes — et nécessaires – pour objectiver la contribution du CMI et identifier des pistes d’amélioration.

Un autre réflexe essentiel, selon moi, consiste à s’intéresser à l’efficacité perçue de la fonction Études par ses parties prenantes — en particulier les directions Marketing, R&D ou Innovation.

Ce type de retour peut se structurer via des méthodes d’évaluation ou de co-réflexion inter-équipes, permettant une progression collective. En résumé : pour mesurer son ROI, le département Études doit autant écouter le marché que ses clients internes. Mais il est aussi tout à fait imaginable de systématiser cette évaluation…

Quels contours pourraient-elle prendre ?

Je crois en effet qu’un dispositif structuré d’évaluation de la fonction CMI a beaucoup de sens. Il s’agit de définir des objectifs clairs, alignés sur les priorités de l’organisation, et de mesurer régulièrement la contribution perçue par les parties prenantes internes.
Cela pourrait passer, par exemple, par une évaluation annuelle de la fonction, intégrant à la fois des indicateurs quantitatifs et un retour qualitatif — plus riche — sur les points forts et les axes de progrès identifiés par les clients internes.

L’enjeu est double car d’un côté, cela valorise le rôle des équipes Insights comme accélérateurs de performance — notamment sur l’intégration de la voix du consommateur dans les décisions. Et de l’autre, cela permet d’objectiver leur contribution, et de construire une trajectoire d’amélioration continue, avec des KPIs adaptés.

Mais pourquoi ne pas aller plus loin et inclure également le point de vue des consommateurs ? Certains items d’image — « une marque qui me comprend », « qui s’intéresse à ses clients » — peuvent refléter l’impact des insights sur la manière dont l’entreprise est perçue. C’est une autre manière, très concrète, de faire le lien entre la fonction Insights et la valeur perçue par le marché.

Certains items d’image — « une marque qui me comprend », « qui s’intéresse à ses clients » — peuvent refléter l’impact des insights sur la manière dont l’entreprise est perçue. C’est une autre manière, très concrète, de faire le lien entre la fonction Insights et la valeur perçue par le marché.

Par ailleurs, l’innovation utile et responsable est un enjeu désormais majeur pour toutes les entreprises. Quasiment aucune aujourd’hui ne peut échapper à cet impératif d’exploiter au mieux les ressources à disposition, au service d’une croissance responsable. Là encore, cela s’applique complètement à l’univers du market research… 

Comment cela peut se traduire ?

Être responsable dans la production et l’exploitation des insights, c’est d’abord optimiser ce qui existe déjà. Cela suppose de mieux exploiter les études dans la durée, d’encourager leur réutilisation, et d’éviter les projets « one-shot » à faible utilité. Cela implique une transformation des pratiques. Avant de lancer une nouvelle étude, les équipes devraient systématiquement se poser ces quelques questions simples mais essentielles : Ce projet est-il vraiment indispensable ? La décision n’est-elle pas déjà prise ? Les réponses n’existent-elles pas déjà quelque part dans l’organisation ?

Être responsable dans la production et l’exploitation des insights, c’est d’abord optimiser ce qui existe déjà. Cela suppose de mieux exploiter les études dans la durée, d’encourager leur réutilisation, et d’éviter les projets « one-shot » à faible utilité.

Ce questionnement peut aussi amener à privilégier certains types d’études à plus forte valeur, comme les segmentations ou les études prospectives, qui nourrissent la réflexion sur le long terme et la transversalité. Autrement dit, améliorer le ROI des études, c’est aussi rééquilibrer le portefeuille en faveur de projets stratégiques, tout en assurant un meilleur partage des résultats au sein de l’organisation. Plus une connaissance est utilisée, diffusée, appropriée, plus son retour sur investissement devient évident.

Je garde un souvenir très fort de l’expérience vécue chez SEB : nous avions instauré un langage commun autour des typologies de consommateurs et des tendances, utilisé par toutes les directions marketing et filiales. Cela a apporté énormément de cohérence et d’impact, renforçant notre légitimité auprès du top management. C’est une autre façon d’optimiser son ROI.

Voyez-vous un dernier axe important qui permettrait aux équipes Études / Insights de maximiser leur ROI ?

Un dernier axe-clé pour maximiser le ROI des équipes Insights réside dans l’optimisation de l’allocation des ressources. Il s’agit d’un levier qui peut générer un véritable gain de productivité. Cela passe par la délégation de certaines tâches – à des partenaires, agences ou consultants – dans une logique de collaboration plus intégrée. En impliquant davantage ces acteurs dans les process internes, on fluidifie les échanges et on augmente l’efficacité globale. 

Mais le vrai game-changer, c’est l’Intelligence Artificielle. Elle offre désormais aux équipes CMI la possibilité de faciliter ou d’automatiser des tâches chronophages à faible valeur ajoutée, leur libérer du temps pour se concentrer sur l’interprétation, la recommandation stratégique et l’impact business. C’est aussi la possibilité de mieux naviguer dans la matière existante, de produire en temps réel des extracts ou des mini-synthèses sur des sujets chauds. Et donc de démultiplier les capacités des équipes à promouvoir et exploiter les données disponibles. L’explosion de l’IA pour nos métiers doit être un catalyseur d’efficacité et créateur de valeur, à condition que les équipes s’en emparent rapidement et montent d’un cran dans leur contribution.

Le vrai game-changer, c’est l’Intelligence Artificielle (…). L’explosion de l’IA pour nos métiers doit être un catalyseur d’efficacité et créateur de valeur, à condition que les équipes s’en emparent rapidement et montent d’un cran dans leur contribution.

Car c’est bien là tout l’enjeu : faire reconnaître la contribution stratégique des équipes Insights et leur permettre de rayonner à la hauteur de leur potentiel. Dans mon activité de consultante, je travaille sur ce rôle des départements insights et sur les moyens de les faire émerger davantage. Et, dans ce cadre la mesure du ROI est l’un des principaux leviers de reconnaissance et de valorisation. 

En termes de mise en œuvre, il s’agit d’une approche ad hoc à co-construire avec les équipes qui se révèle forcément bénéfique au final :  elle structure les priorités, donne de la lisibilité aux actions, facilite le dialogue avec les parties prenantes – y compris au plus haut niveau – et renforce la fierté d’équipe. Une approche sur-mesure, pragmatique, pensée pour être utile et contribuer au rayonnement durable de la fonction Insights.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Valérie Satre

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